Le retour d’une expat

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, (…) et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge !

Joachim du Bellay

Au fond j’crois que la Terre est ronde pour une seule bonne raison, après avoir fait le tour du Monde, tout ce qu’on veut c’est être à la maison.

Orelsan

Bullshit.

Mais reprenons

Prends un thé ou un café, poses toi, on va être ensemble un moment mon chat, parce que cette expérience d’expat, ça a été un immense tournant pour moi.

Alors voilà.

Tu connais un peu mon histoire. L’infirmière juste diplômée, qui reprend les études, qui va vivre à l’autre bout du monde. Et un petit (vraiment tout petit) détail vient niquer un peu le game : Coronavirus.

J’ai pris la décision de rentrer en Europe (et je souligne l’Europe, parce que je ne sais pas encore où, mais pas qu’en France j’espère).

J’vais te dire un peu mon point de vue sur toute cette expérience. (Et en plus, je vais barrer un des premiers items de ma Bucketlist, je l’ai même triplé, et j’espère que ce n’est pas fini…)

Le départ

Pourquoi je suis partie ?

Plein de raisons en réalité.

La fuite

Parce qu’on ne va pas se mentir, il y a pas mal de gens qui partent pour fuir un truc. On ne sait pas forcément quoi quand on le fait, on ne sait même pas qu’on fuit non plus. Mais à un moment donné ça nous rattrape. Et on comprend. Je ne vais pas épiloguer ce chapitre, parce que les raisons me sont propres et je pense que si tu lis assidument mon blog, tu dois avoir quelques idées.  

L’envie d’ailleurs

Bah oui, quand même la principale raison ! Voir autre chose, découvrir. Ce que je ne me rendais pas compte avant d’être loin autant de temps, c’est que je pense que partir dans un autre pays change ta manière d’appréhender les choses, les gens, les situations. Ça t’ouvre, et surtout ça permet de réfléchir différemment. Donc en plus du dépaysement, des paysages à couper le souffle, de l’aventure, tu changes aussi ta manière de comprendre ton environnement. Partir c’est un peu comprendre de nouvelles choses par moi-même. En tout cas c’est l’idée qui m’a fait partir. J’avais envie de ne pas avoir d’apriori sur moi, sur l’endroit.

Alors quoi de mieux que de partir à l’autre bout du monde pour essayer de comprendre ? Vivre une aventure et comprendre. J’ai toujours aimé voyager, vivre des aventures courtes, mais ça fait quoi de vivre une aventure de plusieurs années ? Vivre comme un.e locale ? Vivre un autre mode de vie ? Voir si le monde, si les humains sont vraiment différents de l’autre côté de l’océan (oui, ils le sont, mais c’est une belle chose pour découvrir et s’ouvrir). Et pour finir, je suis tombée amoureuse de ça. De tout plaquer et partir. Cette joie de monter dans un avion, de pas savoir quand on rentre, de juste s’envoler et vivre ce défi à fond. Voir si l’herbe est plus verte ailleurs (spoiler alert : ce n’est pas de l’herbe mais de la neige là-bas).

Les études, quand même la meilleure excuse

Je suis quand même partie pour faire des études, pour trouver une voie professionnelle (pour sortir et profiter, on ne va pas se mentir on connait les années étudiantes aussi). Mais c’était vraiment le fun pour le coup, dur aussi, parce qu’autre système d’éducation, ça aussi ça te change pas mal de voir autre chose à ce niveau, et ça te donne une méthode de travail tellement différente ! J’ai l’impression d’avoir plein de cordes à mon arc maintenant, parce que si j’ai tenu face à une maîtrise au Québec, j’suis capable de beaucoup.

Grandir

J’avais besoin de ça pour partir de chez moi. J’ai toujours vécu chez mes parents, ou presque. Je n’avais pas eu d’appart à moi, j’ai eu la chance d’avoir une école pas loin de chez moi, ça m’a permis de profiter sans devoir avoir un taff quotidien en parallèle, ni de me soucis du côté financier du traintrain quotidien. Alors oui, évidemment, je bossais quand je pouvais, les vacances tout ça.

Mais on s’entend que c’est différent. J’avais besoin de ça pour voir ce que je pouvais donner en tant qu’adulte aussi. Et quoi de mieux que de partir solo, quand t’as zéro expérience de la vie adulte, à l’autre bout du monde où le système n’a rien à voir. Non mais vraiment, t’es pas allée à Tourcoing Léa, mais à Québec. Y’a des personnes qui prennent un petit appart en traversant juste la ville, moi j’traverse les océans, y’a quoi.

Sortir de ma zone de confort

J’ai eu la chance de grandir avec des parents qui ont vécu un an et demi aux USA, d’avoir un frère qui est parti vivre en Suède. On a beaucoup parlé avec eux de cette expérience de vivre à l’étranger. Et le challenge dont ils parlaient, l’aventure que c’était, ça m’a attiré, de suite. J’avais envie de me confronter à tout ce qu’ils disaient. Mon frère je le vivais au quotidien j’essayai de comprendre les enjeux en même temps qu’il le vivait et ça avait l’air si excitant et vivant ! Et mes parents quand ils parlent des USA, j’ai l’impression que c’était une vie d’aventure et d’anecdotes et de galères. J’avais envie de vivre ça, d’aussi loin que je m’en souvienne.

Et la vie est un peu plus amusante quand on prend des risques non ? Puis j’suis sagittaire aussi (si si je te jure, c’est un argument de taille).

Être expat c’est quoi ?

L’excitation du début : la découverte. Bah oui, demande à n’importe qui, on te répondra : ce que j’adore quand je pars, c’est de découvrir, de visiter plein de trucs, des activités que t’avais même pas imaginé, des situations incongrues ! Evidemment, quand l’avion se pose, t’es en jetlag, un peu stressé.e, voire très pour certain.e.s (coucou, je suis JJ la stressée), mais tu passes une nuit de sommeil, et après t’es comme un enfant à Noël : les yeux écarquillés, à vouloir tout voir, tout entendre et t’essaies de comprendre ce que les gens te disent.

En plus de cette vie d’étudiante à l’étranger, j’apprenais à vivre seule (enfin seule, on s’entend, dans une résidence de 900 personnes, mais tu vois ce que je veux dire). Mais j’apprenais à tout recommencer un peu. Ce qui est incroyable quand tu pars et que tu arrives dans un endroit où personne te connait, c’est que PERSONNE ne te connait. Tes lacunes, tes tares, ton passé ou tes qualités et tes opinions. Tu dois tout refaire du début. Ça c’est le kiff ultime. Tu n’as rien à prouver, pas de rancunes ou de rancœur. Toi t’es là, dans une masse de people inconnus. Et tu te refais des proches. Et ces gens-là, avec qui tu vas t’attacher, ils vont prendre une place hyper importante. Parce que t’as personne autour de toi, t’as juste ces nouvelles têtes.

Et justement, perso quand je suis partie le premier mois a été incroyable, trop d’excitation. Puis une grosse désillusion. Je suis arrivée fin aout 2018, et en octobre, j’avais envie de tout lâcher. De rentrer. J’avais un énorme coup de blues, j’me sentais seule, je n’arrivais pas à m’y faire à cette nouvelle vie. C’est passé après décembre, mais mon dieu que j’ai galéré. Entre le fait d’être seule, les études qui n’avaient rien à voir avec ce que j’avais fait avant, tout à réapprendre, et cette neige qui n’en finissait pas de tomber. Je n’y arrivais pas. Heureusement, je faisais l’appel à un ami (mon frère en l’occurrence), qui me disait que c’était normal, qu’il avait ressenti la même chose, mais que ça passerait.

Dans ces cas-là, faut se démerder. Alors, ne te méprends pas, j’aime les gens, j’aime être entourée, j’aime recevoir, toujours avoir quelqu’un avec qui parler. Mais je suis incapable d’aller vers les gens que je ne connais pas. J’ai eu beaucoup de mal au départ à rencontrer de nouvelles personnes. J’avais des personnes avec qui j’étais la première session, et justement, en décembre, je savais que ces gens-là, repartaient. Et j’me sentais pas capable de refaire tous les efforts que j’avais fait.

Pourtant, je suis tombée sur 2-3 loustics, que je n’ai plus quitté jusqu’à mon dernier jour au Canada, 3 ans après. C’est surtout grâce à eux je pense que j’ai tenu au départ. Ils étaient là depuis plus longtemps, connaissaient plus de monde. Et là quand tu commences à être un peu plus stable, tu commences à vivre si intensément. Tu visites la ville où tu es, tu commences à te sentir chez toi, tu voyages dans les pays voisins, tu profites de chaque minute (heureusement que c’était ma grosse période d’insomnie, et que j’avais un foie solide, parce que sinon je n’aurais pas tenu les gars).

Cette vie à 2000 à l’heure je l’ai tellement aimé. Il aurait fallu que les journées durent 48h pour faire tout ce que je voulais. Mais ça passait, personne sérieuse la journée, alcoolique la nuit, voyageuse à mi-temps, étudiante à plein temps et une vie sociale fleurie.

Vivre à l’étranger

Arriver dans un nouvel endroit c’est incroyable. Tu as tellement de choses à voir, à découvrir. De nouveaux paysages, de nouvelles personnes à rencontrer, de nouvelles habitudes de vie, de la nouvelle bouffe (oui pour une frenchie, la bouffe c’est un point important). J’donne souvent cet exemple, mais dans un supermarché, tes produits prefs, bah ils n’y sont pas. Et en plus ce n’est pas rangé pareil. Donc en plus de trouver des équivalents ou de nouvelles choses qui peuvent faire le taff, il faut les trouver dans les rayons. Et tout ça, c’est incroyable, t’as des petites aventures tous les jours.

Au Québec, l’hiver c’est une GRANDE aventure. Ah oui, tu n’as pas vécu tant qu’une vendeuse ne t’as pas sortie comme argument de vente : « Ah non, ces chaussures elles sont parfaites, elles vont jusqu’à -32 degrés. » Oui, mais elles sont moches. Mais chaudes, bon ok on prend. Puis vivre à -32 c’est quelque chose aussi. Mais tu apprends. T’apprends que le style n’a plus aucune importance, parce que de toute façon tu te pèles le cul.

C’est incroyable de découvrir un nouvel endroit. Tu fais toujours de nouvelles choses, que tu ne pensais pas être possible. Tu pensais possible de te faire draguer par un pinguouins, dans un festival de musique avec un ressenti -35 avec des platines de DJ qui gèlent ? ah j’te jure ce n’est pas à Bordeaux que ça arriverait ! Et tu pensais possible toi qu’on te dise : « Non mais par contre, si vous voyez un orignal sur la route vous l’évitez. Non parce que normalement les animaux on vous dit de pas les éviter, mais lui il faut ».

Tu pensais vraiment voir des panneaux « Attention animaux sauvages » avec des ours dessus ? C’est trop bien d’arriver dans des nouveaux endroits. T’es curieux de tout, tu veux tout faire, t’as un autre bout du monde dispo en pas loin. Je suis allée à New York EN BUS, j’étais à une heure d’avion du Mexique. Ça n’a pas de sens.

Evidemment, j’étais dans la partie francophone. Mais quand on te sort des trucs du style « tigidou », « bobettes », « slotche », et « bibitte » j’peux te dire que t’as l’impression de découvrir une langue. Et certaines expressions n’ont pas le même sens du tout. On sait tou.te.s que « gosses » c’est pas pareil. Mais t’as pas que ça. Quand on te dit : « c’est cochon » ça veut pas du tout dire un truc de moins de 18 ans, c’est C’EST GOURMAND. Mais pardon madame, mais faut le deviner ça. Mais c’est drôle les quiproquos qu’il peut y avoir, et les expressions que tu ne pourras jamais réutiliser.

Par exemple, j’ai un truc qui est resté c’est le « t’es bonne ». AH AH. Si tu dis ça en Europe (oui, y’a pas que la France qui est francophone) c’est pas hyper bien reçu, alors que c’est hyper bienveillant pour moi comme phrase. C’est ce genre de choses qui fait que le québécois c’est totalement différent. Et c’est con, mais une autre langue, une autre façon de réfléchir, une autre gym du cerveau, une plus grande ouverture d’esprit.

Et là je vais faire le lien avec « apprendre sur soi ». Tu te découvres une force et des capacités quand tu vis à l’étranger. C’est vraiment hyper encourageant et valorisant. T’es capable. Tu te rends compte du courage qu’il t’as fallu pour partir, mais surtout de ta capacité à t’adapter après.

Il faut se dépasser tous les jours, trouver des solutions, au niveau financier, au niveau administratif, au niveau de l’environnement. C’est un exercice difficile, mais tellement enrichissant. Pour info, je sais déclarer mes impôts au Québec/Canada, mais pas en France. Et on a l’impression que ça va me servir à rien dans ma vie, mais je l’ai fait. J’me suis démerder pour comprendre le truc du fédéral, national, et tout le blabla.

J’vais pas te mentir, l’acclimatation n’est pas facile. Au départ, tu es sous le coup de l’adrénaline, de l’exaltation, la découverte tout ça. Et après quand ça redescend, tu es seul.e. Et tu te dis que t’y arriveras pas. En tout cas c’est ce que je me suis dis. J’ai eu d’innombrables conversations avec mes ami.e.s en France pour leur dire que j’étais pas capable, que je voulais rentrer. Les premiers mois ont été horribles. Le temps que je m’acclimate, que je m’y fasse. On perd plein d’avantage à être à l’étranger, et c’est un grand atout de la France : la vie est quand même assez facile ici. Les soins, la bouffe, les proches, l’accès à plein de choses que tu n’as plus à l’étranger. C’est compliqué au départ.

Je parlais de l’administratif. Mais imagine pour toutes les démarches où tu peux demander de l’aide à tes parents, à tes proches. Mais là, t’es solo, dans un pays avec un statut un peu complexe. Ouvrir un compte à la banque, mais laquelle, j’ai aucun retour, les transports, les visa, tes droits, tes accès à la santé… Tout ça t’as pas le droit à l’erreur. Parce qu’imagine s’il t’arrive quelque chose et tu vas à l’hôpital, ça se passe comment ? Tu payes ? Tu payes pas ? C’est con mais pendant 2 mois j’avais pas eu de rendez vous pour ma sécurité sociale québécoise, bah je savais pas ce qu’il pouvait se passer. Et j’demande à qui dans ces cas ? Papa, maman ils savent quedal.

Enfaite, le plus dur c’est la pression pro, parce que tu pars avec des objectifs tout ça, il faut y arriver sinon tout cet investissement il est perdu, et une pression perso parce qu’il faut tout apprendre. Et la première année, ça a été assez épuisant pour moi.

Aujourd’hui j’suis fière de tout ça, je te l’avoue, mais c’était une grosse épreuve.

Le cul entre 2 pays : la malédiction de l’expat

Le plus dur je trouve quand tu vis entre 2 pays, c’est de ne pas comparer les deux. Ce que je fais malgré moi évidemment. Déjà au niveau de la langue. Les mots n’ont pas le même impact, n’ont pas le même sens (et encore je n’étais pas dans un pays anglophone ou quoi). Mais petit à petit, tu prends des expressions, des intonations qui ne sont plus naturelles en France et qui ne sont pas forcément totalement québécoise. Alors quand tu es au Québec, on t’appelle la française, on te dit que ton accent est mignon (jamais dites à quelqu’un, j’suis pas un animal de compagnie).

Truc con, mais au Québec, on écoute une série, un film, en France, si tu dis j’écoute une série, on va tiquer sur la phrase. C’est un détail, mais c’est ce qui fait que quand tu es en France on t’appelle la canadienne, la québécoise, et quand tu es au Québec, on t’appelle la française. Juste, les ami.e.s, je m’appelle Léa, au cas où vous auriez zappé hein, j’dis juste ça comme ça. Tu sais qu’encore aujourd’hui, après 6 mois de fin du Québec, on me fait encore des réflexions quand j’ai une intonation ou une expression qui ressort ? C’est bon, on peut passer à autre chose ? C’était drôle la première fois, lourd les 4534 autres.

Evidemment, y’a pas que ça, c’est une acclimatation au quotidien aussi. Tu sais qu’ils n’organisent pas pareil les supermarchés dans tous les pays ? Je reprends mon exemple du supermarché mais quand je me retrouve à chercher un article dans un rayon, et que je me rends compte qu’il n’est pas placé du tout dans ce rayon mais à l’autre bout du magasin ça ne fait aucun sens pour moi. C’est un détail, mais qui montre qu’on réfléchi pas pareil de l’autre côté de nos frontières.

Aussi, il y a une grosse différence dans les débats de société et de l’avancé dans les dispositions mises en œuvre, les différentes ressources. T’as vu comme ça te fait chier à chaque fois quand j’écris de manière inclusive ? Bah, je pense que si un.e québécois.e lit cet article, il/elle n’y fera même pas attention. C’est un détail, mais ça montre à quel point sur certains sujets la France est arriérée.

Tu as aussi la culture qui est différente, pas le même historique, pas la même analyse, pas la même ouverture. Putain tu parles à certain.e.s Québécois.e.s, ils connaissent le nom de tous les participant.e.s aux élections françaises. Eh les Français, il s’appelle comment le premier ministre au Canada ? (ah oui, c’est pas un président, c’est un premier ministre, et tu sais pourquoi ? non ?). Et leur histoire, tu la connais ? Et tu sais comment on appelle les premiers habitants du Canada ? Non, ce n’est pas les Indiens, ni les Inuits, mais les Premières Nations. T’inquiète j’ai eu des débats avec des québécoises qui m’ont bien parlé de Napoléon. Ouais, elles connaissaient mieux l’histoire de la France que moi, j’étais sur le cul. Bah du coup, culturellement, j’étais larguée, je ne comprenais pas leur histoire. On dit toujours que c’est un nouveau pays, mais putain qu’il est riche.

Puis évidemment, j’te parlais tout à l’heure de mes proches qui m’appellent la québécoise. Bah, justement, parlons-en de ces allers-retours. Déjà, quand tu rentres 15 jours, en France, que c’est pour les fêtes de fin d’année, tu sais que ça va être un marathon de bouffe, de voiture, de têtes de gens que t’aiment. Eh j’te jure en rentrant au Québec à chaque fois, je dormais une semaine pour m’en remettre. Une fois j’ai compté, j’ai fait plus de 1400km et j’ai vu plus de 100 personnes en 15 jours (j’ai une grande famille aussi, je triche un peu). Parce que tu loupes tellement de choses quand t’es loin.

Déjà ta famille, évidemment, les petit.e.s cousin.e.s qui grandissent que tu ne vois pas, tes oncles et tantes qui déménagent tout ça (oui je suis très proche de ma famille) ; mais tes ami.e.s surtout ! Bah oui, t’es dans la tranche d’âge où on se marie, où on a des enfants. Tu loupes les grossesses, tu loupes les mariages, les pacs, les pendaisons de crémaillères, les succès. (L’océan aussi m’a manqué beaucoup, j’avoue.)

Mais t’es loin aussi pour les moments difficiles, les décès, les maladies, les coups durs. Et j’étais totalement impuissante. Et seule. Tu sais ce que c’est de perdre un proche à 5000 km ? Avec ce putain de corona qui t’empêche de sauter dans un avion ? Alors t’essaies d’appeler, d’être présente, de faire un putain d’appel visio. Mais ça ne change rien. Tu raccroches, et tu te retrouves solo, et la personne de l’autre côté du téléphone bah elle gère avec les personnes présentes, elle n’a pas à penser à toi à l’autre bout du monde, elle doit déjà gérer sur place. Et à qui tu en parles dans ces moments ? Les personnes qui sont au Québec avec toi, qui n’ont rien à voir avec la choucroute. C’est compliqué.

Le coronavirus qu’est-ce que ça change pour nous en tant qu’expats

Parce qu’il a joué un rôle majeur dans ma vie, il faut que j’en parle : le Coco.

Bah oui, parce que c’est un peu (beaucoup) lui qui fait que je suis en France aujourd’hui (et sans emploi, mais c’est un détail).

Je reprends un peu. Quand le covid a explosé en mars 2020, j’étais en Guinée. J’avais de l’argent juste pour mon stage, mes économies étaient calculées au poil de cul pour que ça passe. Mais j’ai été rapatriée et tout (tu peux retrouver toute l’histoire ici si tu ne l’as pas lu).

Me retrouver au Québec pendant l’épidémie, était certes peut être plus confortable qu’en Guinée où l’ambiance extérieure était déjà fragile, mais j’étais loin de tout, mes potes repartaient en France parce que les frontières et tout c’était bancal à cette époque. Mais moi je n’avais pas les fonds pour rentrer.

Mais quand t’es dans un pays étranger, loin de ta famille, de tes proches, avec une pandémie mondiale qui fait que tout le monde est tendu, comment tu le vis ?

Déjà tu te sens très seul.e. Personnellement, j’ai eu pas mal de soucis de famille, j’étais loin avec un décalage horaire, je peux vous dire que ce n’était pas très agréable. Je vivais avec d’autres étudiant.e.s que je connaissais pas pour certain.e.s et en pleine période d’exam. T’as déjà mis 7 étudiant.e.s enfermé.e.s pendant une période d’exams ? Tu le sens le stress ? Imagines avec la pandémie. L’ambiance sympathique quoi. En plus quand on sortait, ils voyaient bien les gens autour qu’on était pas de la région, j’avoue que certains étaient méfiants, alors on se retrouve encore plus isolés.

Et surtout, nous on est quoi ? Etudiant.e.s étranger.e.s, c’est quoi ce statut de merde. On a le droit à quoi ? On peut faire quoi ? Est-ce qu’on peut partir et revenir ? Est-ce qu’on peut avoir accès à des aides ? On nous dit pas tout ça dans les médias nous. J’ai dû passer plusieurs heures au téléphone avec l’ambassade qui me renvoie aux douanes qui me renvoient aux services de l’immigration qui me dit d’appeler les douanes. On a un statut d’expats, mais vu qu’on est édutiant.e.s c’est différents.

Bref, en plus d’avoir bouffé mes économies à vivre dans un pays fermé, j’ai mon moral qui a pas mal chuté à être loin de ma famille.

Et, en toute transparence, si je suis en France aujourd’hui, c’est parce qu’il me restait 5 dollars sur mon compte québécois et que je commençais à taxer mes potes pour faire mes courses.

Ce covid aura au moins permis d’expliciter quelque chose : quand on est expats, on est difficilement les premiers à être au courant des ressources mises à dispo pour nous. On ne sait pas ce dont on peut bénéficier ou non.

Le coronavirus m’aura au moins servi pour un apprentissage : quand tu pars quelque part, soit prête à tout, et anticipe.

Le retour

Tout ce que je vais dire-là ne tiens qu’à moi. J’suis sure que si j’en parle à d’autres expats, ça sera un ressenti différent, ou peut-être il y aura des similitudes. A toi de me le dire.

C’est difficile de dire au revoir après 3 ans. Comme je t’ai dit, les personnes que j’ai rencontrées au Québec, c’est la famille que je me suis choisie, comme une grande. Je dois beaucoup aux personnes qui m’ont accompagnées, aux rencontres que j’ai faites. C’est peut-être ce qui me fait le plus mal. Laisser les gens derrière moi. Ce n’est pas comme si ces personnes disparaissaient de ma vie non plus on s’entend. Mais quand même, ne plus les voir aussi régulièrement, changer de vie, changer d’habitude.

C’est incroyable à quel point tout ce que j’ai vécu au Québec m’a changé. Mais il est temps de revenir un peu aux racines. J’ai l’impression de perdre en autonomie en rentrant en France, de perdre en indépendance. Je vais avoir l’impression rapidement d’étouffer, de retrouver l’ancien moi. C’est quelque chose qui m’angoisse énormément.

A chaque fois que je suis en France, je lâche tellement la pression que j’accumule au fur et à mesure, que j’ai l’impression de perdre tous mes moyens. J’ai mon passé qui refait surface. C’est très complexe à vivre. Et j’suis pas prête pour le vivre encore. Mais il va falloir, il va falloir que j’apprenne à vivre avec tout ça. Sinon, la fuite que j’ai faite en partant au Canada ne finira jamais. Alors rentrer en France, c’est renoncer à la liberté et au déni que je faisais. C’est réaliser à quel point j’ai des choses à régler. C’est dire au revoir à l’insouciance. Et c’est (enfin) comprendre que toute ma vie je vivrai avec moi-même.

S’ouvrir à d’autres choses

Fermer une porte, ce n’est pas abandonner, ou limiter ses choix, c’est justement l’inverse. J’me retrouve devant tellement de possibilités ! Et j’ai envie de toutes les faire. Maintenant, c’est trouver ce qui me convient le mieux. Pour le moment, c’est revoir un peu le projet professionnel, profiter de ses proches, voir aussi comment le Canada m’a changé et me réadapter à la culture et la vie en France, en famille. Un nouveau rythme. Et peut-être que ça va me permettre de voir mes capacités et mes possibilités plus facilement que quand j’étais dans le mood de tout contrôler et de ne pas bouger. J’ai refusé des opportunités parce que je ne m’en pensais pas capable. Peut-être que de prendre du recul par rapport à ces 3 ans ça va me faire le plus grand bien.

Et après ?

Oui je reviendrai surement au Canada, au Québec. C’est une partie de vie quand même, je lui dois beaucoup à ce pays, aux personnes que j’ai rencontrées. J’ai pas mal évolué ici, j’ai beaucoup appris sur moi. Je n’ai pas pu faire tout ce que je voulais, je n’ai pas vu l’Ouest, je n’ai pas bien vu l’Est. Je vais revenir, peut être avec des gens, peut être seule. Probablement pas y vivre (mais qui sait… Avec mon instabilité tout peut changer vite).

Mais à ce jour, je pense que changer d’environnement, de pays, de projets, ce n’est que bénéfique pour moi. Alors, je ne sais pas encore ce qui m’attend. Pour la première fois de ma vie je n’ai pas de plans. Mais j’avance, et je suis mon intuition. Pour le moment, elle me guide vers la France, la Suisse. Mais qui sait, je vais peut-être accepter une mission à l’autre bout du monde.

Et rentrer ça fait quoi ?

On voit beaucoup d’articles sur le retour. J’peux vous dire tout ça, que c’était une expérience incroyable, que ma vie est mieux, que ma vie est ultra positive, que j’ai emmagasiné plein de trucs. Bullshit. Le retour est la partie la plus compliquée (et qu’est-ce que j’en ai chié au Québec au départ, on ne va pas se mentir).

Le deuil

J’ai un peu l’impression de passer par les étapes du deuil. D’abord le déni avec le : « j’y retournerai » ou le « je ne vais pas rester en France » ou tout simplement « je n’arrive pas à croire que je suis en France ». Oui, le dernier a été long pour moi. J’avais l’impression de rentrer encore pour les vacances, que ce Covid (de merde) ne me bloquerait pas longtemps, que je trouverai un travail pour repartir. J’avais juste envie de me dire « vas-y, c’est comme un retour de vacances, et tu repars ».

J’ai des changements d’humeur, je fais le yoyo entre la joie d’être rentrée et la déprime d’être partie.

Et à des moments je suis même entrain de mettre de la brume d’oreiller que j’avais au Québec juste pour essayer de me calmer et de me sentir dans un endroit familier. On parle d’une meuf dans sa chambre où elle a vécu 20 ans entrain de pulvériser du parfum sur son doudou pour adoucir son départ du Québec où elle a passé seulement 3 ans (oui, j’ai un doudou à 27 ans, si tu te moques, nique-toi). Et j’te jure, ça aide, ça apaise vraiment. A quel point ça n’a pas de sens !

Ne plus être en phase

Aloooooors je vous entends déjà dire : « mais je ne te comprends pas, nous ça n’a rien changé, on est ravis que tu sois là, on veut que tu sois là, on comprend que le retour est compliqué, on t’aime, on blablabla »

Déjà, première chose, on parle de moi. Pas de toi, ni du voisin. Je ne me sens pas en phase, je pense avoir le droit. Je ne dis pas que je n’aime pas la France, vous, toi. C’est juste que je suis dans une période de flou. Certain.e.s qui ont vécu à l’étranger comprendront. Et les autres, je ne peux pas vous expliquer vraiment. Je ne suis pas la même que celle qui est partie il y à 3 ans. Et il faut que je reprenne ma vie ici là où je l’ai laissé. Et faut comprendre que je n’arrive plus à négocier avec mon environnement, avec la façon de vivre, de s’exprimer, avec tout enfaite.

Putain j’ai l’impression d’être la connasse de service en écrivant ces lignes, si tu savais.

Mais j’me sens totalement impuissante, dans un environnement que j’ai l’impression que je connais, mais que je ne comprends plus. J’étais libre, dans un contexte culturel totalement étranger, où j’étais obligée de m’adapter, d’apprendre et mon corps et ma tête le faisaient de manière naturelle. Mais ici, faut que je me force à le faire, parce que mon corps connait tout, ma tête reconnait tout, mais ça sonne faux. Et ça fatigue.

Combien de fois pendant nos conversations, pendant les moments avec ma famille ou mes ami.e.s je me suis demandée : « qu’est-ce que je fous là ? ». Et c’est un peu dur à se dire, et je sais que si j’en parle, je vais me retrouver face à un mur d’incompréhension. T’inquiètes pas Maurice, cette incompréhension elle est aussi dans ma tête. Putain c’est toi, je te connais, je t’aime, je suis tellement heureuse de toi voir. Mais qu’est ce que je fous là ?

Renoncer

Il faut commencer par là. Je renonce à une partie de moi, de ce que j’ai appris, et en renonçant j’ai l’impression de me trahir un peu. Et j’comprends totalement qu’on ait du mal à saisir ce que j’essaie de dire, parce que putain même moi je ne me déchiffre pas. Mais revenir est épuisant.

Je n’abandonne pas cette partie de moi, juste je la mets entre parenthèses, parce que de toute façon, elle n’a pas vraiment sa place ici.

Après, c’est vrai que la situation pandémique est compliquée à gérer pour tout le monde, ça n’aide pas cette ambiance anxiogène, déjà de base. Mais ajoute à ça la recherche de taff et le retour. Petite JJ est un peu entrain de sortir les rames.

Acceptation

J’suis sure que j’y arriverai. Que je vais arrêter de me poser la fameuse question : Je repars, je reste, je découvre ailleurs ? Un jour je vais y arriver. Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment ni quel sera le déclic. Mais je suis sure qu’un jour je vais retrouver un équilibre. Parce qu’il faut que je m’adapte. Et ça normalement, je sais le faire.

Fin de cet article

Alors quoi, Ulysse et Orelsan, ils ont vécu toute cette merde de réadaptation, de deuil, de flou, de renoncement ; mais enfaite, ces gros bâtards, ils commencent à parler qu’une fois la phase de l’acceptation terminée, et ils disent juste : « ouais partir c’est cool mais revenir c’est mieux ». Putain, mais prévenez les gars que le retour ce n’est pas juste défaire ses valises, embrasser ses proches et mettre son cul sur la chaise pour manger et reprendre comme si de rien n’était.

J’pensais que vous étiez le sang, que je pouvais vous faire confiance. Tout le monde lit Joachim du Bellay à l’école. Moi j’pensais que vous étiez des gars sûrs, qui disent la vérité. Mais que nenni, quedal, nada ! C’est que du blabla, de la poudre dans les yeux, des arcs-en-ciel dans les pockets. Dans vos chansons, vos poèmes, vos odes aux voyages et la beauté du retour, arrêtez de mentir et de voiler la face aux jeunes qui ne rêvent que de faire leurs valises et découvrir. Prévenez-les que l’important c’est pas la chute : c’est l’atterrissage.

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  • J’ai beaucoup apprécié lire cet article, une fois de plus cela me permet de te redécouvir après tout ce temps 🙂

    Au plaisir de se revoir bientôt Mademoiselle

  • Je suis toujours impressionnée par cette qualité de transparence que tu poses dans tes textes. C’est brut, c’est toi. On te reconnaît bien, à travers ton écriture. Je n’ai pas vécu cette expérience, aussi longue, mes voyages durent bien moins longtemps que les tiens. Et déjà là, il se passe beaucoup de chose. En revanche, je voyage beaucoup à l’intérieur de moi. Et j’ai pus me reconnaître dans plusieurs de tes mots et maux. Dans plusieurs de tes questionnements et de tes remarques concernant le rapport à toi, et aussi le rapport à l’autre. Alors merci pour la richesse de ce partage: pour ce qu’il m’apprends de toi et ce qu’il m’aide à apprendre de moi 🙏❤️