Soigne et tais toi.

Le 8 novembre 2016.

🇫🇷 #SoigneEtTaisToi.
Non. 
Je ne vais pas me taire.
Vous commencez à me connaitre. Un peu. Je n’ai jamais été douée pour dire les choses. Ma communication non-verbale est d’habitude bien plus utile et claire que mon écrit. Mais aujourd’hui, je pose bêtement des mots sur papier parce qu’il faut faire passer un message.

Aujourd’hui, il se passe quelque chose de grand en France. Je vais penser à tous ceux qui seront dans la rue. On ne manifeste pas. On appelle à l’aide. Sauvez nous. Soignez nous. Parce que le métier infirmier est malade.

En tant qu’étudiante infirmière, j’essaie d’être tout ce que vous me demandez.
Autonome. Professionnelle. Responsable. Patiente. Souriante. Mais aussi, efficace, rapide, en prenant des initiatives, qui accepte tout.

Et on me dit : pathétique, lente, sans connaissances, inefficace.

Et je me sens reniée, humiliée, seule, incompétente et perdue.

Aujourd’hui, je suis à Riga. Dans des hôpitaux locaux. Vous savez quoi ? Je mange avec les infirmières. On me demande comment je vais, on fait des efforts pour moi, parler anglais, arranger mes horaires pour que je puisse être avec une infirmière qui a de l’expérience à l’étranger. On me propose des alternatives. Après plusieurs heures de travail, on me propose de prendre une pause. On m’aide. Mieux, on me sourit. On m’encourage. Malgré mes erreurs, malgré mon « non-savoir » on continue à me sourire. A m’encourager. Et malgré la barrière de la culture et de la langue. Alors oui, ce n’est pas le stage où j’apprends le plus de choses. Je sais qu’en revenant on va me dire : « Mais tu es en troisième année et tu ne sais pas faire ça ? Et tu es diplômée en Juin ? Eh bah… ». (Vous l’entendez le sous-entendu « tu es dans la merde ma pauvre fille ? » parce que moi je l’entends comme s’il était hurlé dans mon oreille.). Et la chute va être difficile. Mais c’est le stage qui ressemble le plus au métier infirmier. A la face humaine de ce métier.

Mais pourquoi ? Quelle est la différence entre ici et là-bas ? Pourquoi ici les IDE sourient et là-bas ils sont dans les rues ?
Ici, les infirmiers ne se jettent pas par les fenêtres, ils sont 4 ou 5 pour un service de 20 ou 25 lits. Ils ne sont pas en sous nombre. Ils sont respectés, écoutés. Et des lits sont disponibles si des patients arrivent en urgence, et sont installés dans le couple d’heures qui suivent dans une chambre. Ici, les IDE ont une pause. UNE PAUSE, tu entends ça ? Les IDE s’assoient, boivent, mangent.
Oh France, qu’est-ce qu’il se passe ? Tu les vois les infirmiers là ? Tu les vois dans les rues ? Tu trouves ça normal ? Tu trouves ça normal que ceux qui soignent se retrouvent malades ? Que ceux qui sont là pour aider au repos, à la tranquillité, et au soulagement soient épuisés, et douloureux ? Oh France, quand est-ce que tu nous reconsidères ? Oh ! Réveille-toi ! Burn-out, souffrance, suicides, dégradations des conditions de travail, pénibilité du métier non reconnue, des salaires ridicules, des spécialisations disparues… Il te faut quoi de plus ?
Oh France il est où le respect ? Tu nous demandes toujours plus et tu supprimes des postes ? Tu veux que la population aille mieux et tu fermes des lits ? Pourquoi ? L’argent c’est ça ? Et la vie d’une personne, tu lui donnes un prix ?
Oh, arrête de nous négliger. Arrête de mettre la santé des patients ET soignants en danger. France, TA Santé est en danger.

Et les patients, je vais vous dire plusieurs choses.
La première chose c’est merci.
La seconde c’est aidez-nous. Descendez dans la rue, parlez-en, s’il faut. Eteignez vos télévisions, arrêtez de regarder ça depuis un écran, arrêtez de souffler, arrêtez de critiquer. Vivez-le. Vivez-le et aidez la Santé à être moins malade. Faites savoir à la France qu’elle manque de considération, d’empathie. Faites savoir qu’on manque d’Humanité.

Vous avez tous été de près ou de loin au contact d’une IDE. On est derrière une blouse. Alors on essaie d’être fort. Rapide. Efficace. Souriant. Présent. Empathique. Professionnel. Mais quand on l’enlève, on pleure. On est épuisé à la fin d’une journée, on a soif, faim. On a mal aux jambes d’avoir couru partout. Mal au cœur de ne pas avoir pris assez de temps pour ce patient qui pleurait. On souffre en pensant à la personne douloureuse lors du soin, à cet enfant qui a peur de cette blouse blanche, à la maladie, à la mort. Et ouais, news-flash. On est des humains sous cette blouse. Alors désolée. Désolée de ne pas être là à chaque moment de la journée. Ne nous faites pas mal. Ne criez pas. Ne vous énervez pas. S’il vous plait. On fait tout ce que l’on peut. Promis. Promis on court tous. On fait tout ce qu’on peut pour que vous ne soyez pas seulement des numéros, une chambre ou une maladie. Et surtout pas un prix. Alors aidez-nous à changer un peu les choses. On vous aide. Aidez-nous. Soulagez-nous.

Je vous aime. Et des fois, vous me le rendais tellement bien.
Des fois, on a des patients comme ça, qui croisent notre chemin et dont on se souvient.

Cet homme, arrivé une heure avant, je ne connaissais pas son dossier, ni sa maladie, juste son nom. Mais on m’a envoyé dans la chambre chercher le numéro de l’infirmière libérale dans le sac. En entrant dans la chambre, il pleurait. Parce qu’il y avait un miroir dans la salle de bain. Et qu’à chaque fois qu’il se regardait, il se voyait moche, vieux et abîmé. Après l’avoir observé, je lui ai demandé combien d’enfants il avait. 4. Je lui ai demandé quel métier d’extérieur il faisait. Il conduisait des grues. Je lui ai demandé où en étaient ses légumes dans son potager. Il attendait les premières tomates. Il était surpris des questions (ah oui, ce n’est pas un secret normalement c’est plus : « la selle ça se passe bien ? Combien de fois par jour ?). Je lui ai expliqué qu’il n’était pas vieux, moche et abimé. Mais qu’on pouvait lire sa vie en l’observant. Les tâches de soleil sur le crâne, la ride du lion, la terre dans les ongles et les mains abimées. Il a souri ça a creusé un peu plus ses rides d’expressions déjà marquées par la vie, s’est levé, et s’est contemplé dans le miroir. Sans pleurer.

Cet homme, les larmes aux yeux, qui me remercie d’avoir pris le temps d’aller en cuisine changer son menu, parce que depuis une semaine, personne n’avait eu le temps de le faire. Alors depuis une semaine c’était jambon et pommes de terre. Vous avez déjà vu un homme pleurer de joie devant un poisson poché ? Moi oui.

« Léa vous reviendrez me voir ? Vous allez me manquer. Vous êtes si gentille. » Juliette.

« Vous êtes belle comme un papillon. Et les oiseaux sont contents d’être avec vous » Jeanne.

Vous savez quoi Patients & France ? C’est pour cela que l’on fait ce métier. Pour ces minutes de bonheur, de partage, d’humanité. Enfin, c’est ce métier qu’on veut faire.

Pas la course contre la souffrance que l’on subit actuellement.

🇬🇧 #HealAndStayQuiet
No.
I’m not gonna stay quiet.
By now you are starting to know me. A bit. I’ve never been good to tell things. I’m usually better at expressing them. Today I’m writing here because it’s important to send a message.
Today something big is happening in France. I’m having a thought to everyone that choose to take the streets. We are not demonstrating. We are calling for help. Save us. Cure us. The nursing profession is sick.

As a nursing student I’m trying to be everything you ask me to be. Independent, professional, responsible, patient, smiling but also efficient, fast, proactive and agree to do everything.

And I’m told: pathetic, slow, without knowledge, inefficient.

And I’m feeling disowned, lonely, unskilled and lost.

Today I’m in Riga working in local hospitals and you know what? I’m eating with the nurses. People ask me how I am feeling, they are doing extra efforts for me, speak to me in English, reschedule their days so I can work with an experienced nurse who worked abroad. I’m being given alternatives. After hours of work, I’m asked to take a break. I feel supported. Even better, I’m being smiled at. Beside my mistakes, beside my « poor knowledge » they keep smiling and cheering for me. And thus beside the language and cultural barrier. Yes it may not be the internship where I’m learning the most. I know that when I’ll come back people will tell me : ”You are in your 3rd year and you don’t know how to do that ? And you will graduate in June ? Woah… » (Can you hear the subtle « you are so screwed girl » because I can hear it loud and clear). The fall is gonna hurt but this intership is the one that look like the closest to the job. To the human part of the job.

But why? What is so different between here and there? Why are the nurses here smiling while they are in the streets over there?

Here the nurses don’t throw themselves out the windows. They are 4 or 5 of them for 20 to 25 beds. They are not understaffed. They are respected and listened to. There are free beds for emergencies and the patients are placed in a room few hours after coming in. Here the nurses have a break. A BREAK, can you believe it? The nurses sit, drink and eat.
Dear France, what’s going on? Can you see the nurses down there? Can you see them in the streets? Do you think it’s normal ? Do you find it normal that the ones taking care of you are the one getting sick? The ones that are here to help to heal you, to rest and to relieve are exhausted and sore? Dear France, when are you gonna reconsider us? Oh, wake up! Burn-out, pain, suicide, worsening of the working conditions, non-recognize painful working conditions, ridiculous salaries, specializations disappearing… what else do you want?

Dear France, where is the respect? You always ask for more but you are suppressing work-positions. You want the population to be healthier but you are lowering the number of beds. Why? Money? How much is worth the life of a person?

Stop neglecting us. Stop putting the Health of your citizens AND Health workers in danger. France, YOUR Health is in danger.
I would like to say something to the patient:

First of all, thank you.

Second of all, please help us. Go take the streets, talk about it. Turn off your TV, stop looking at this issue through a screen, stop pestering, stop criticizing. Live it. Live it and help our healthcare system to be less sick. Tell France that she lacks empathy and consideration. Make it known that we lack humanity.

You have all met a nurse in your life. We are wearing a gown so we are trying to be strong, fast, efficient, smiley, available, empathic and professional. But under it we are crying. At the end of the day we are exhausted, thirsty, hungry. Our legs are sore from running everywhere, and yet we feel guilty for not taking enough time for this patient who was crying. We suffer thinking about the pain the patients are going through, this kid frightened by our gloves and gowns, the illness and death. News flash, we are human too. So we apologize. We apologize to not be here at any time of the day. Don’t hurt us, don’t scream at us, don’t get upset please. We are trying to do everything we can. I swear that we are all running. We are doing everything we can so you aren’t just numbers, a room, a disease and most of all a price. So help us to change things. We are helping you so help us.

I love you and sometimes you give it back so well.

Sometimes we come across the path of some patients that we will remember.

This man who came in 1 hour before. I didn’t know his file or his disease. I just knew his name. They sent me in his room to get the phone number of his private nurse in his bag. When I came in he was crying because there was a mirror in the bathroom. Everytime he was looking at himself he found himself ugly, old, wrinkled. After looking at him I asked him how many children he had. 4. I asked him what kind of outdoor work. Cranes driver. I asked him about his garden and his fruits and vegetables he was growing there. First tomatoes of the season coming in soon. He was surprised at my questions (yeah usually it’s more « how is it going with your bowels? How many times a day? »). I told him he wasn’t old, ugly and wrinkled but that we could read his life by looking at him. The sunburns on his head, the wrinkles, the earth under his nails and the damaged hand. He smiled, stood up and watched himself in the mirror, without crying.

This man, with tears in his eyes, who thanked me for taking the time to go in the kitchen to change his menu because it’s been one week that no one had time to do it and that he was eating ham and potatoes. Have you ever seen a man cry for a fried fish? I did.

“Lea, will you come back? I will miss you. You are so kind.” Juliette.

Do you know what Patients and France? That’s why we are doing this job. For this few minutes of happiness, sharing and humanity.

That’s what I signed for. Not the race against pain we are experiencing now.

 

Traduction par Jérémy Jean-Jean.

 

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