Je sais pas pourquoi ce soir, j’ai eu envie d’écrire un peu.
Quand je suis partie au Canada, j’ai eu l’impression que le monde du soin n’était plus pour moi. Et maintenant que j’y suis retournée, je me dis qu’en faite, c’est pas un hasard si je suis infirmière.
Alors je ne suis sûrement pas la plus compétente, la plus technique, la plus rapide. Mais je sais que humainement, je n’ai rien à envier aux autres.
Quand j’y repense, je vois la douleur, l’angoisse, la peur, la détresse tous les jours. Cet homme de 77 ans qui ne peut même pas articuler tellement il a mal. Cette femme que j’aide à respirer doucement en imaginant la Corse avant l’anesthésie. Cet homme qui me broie les mains de douleurs. Ces larmes que j’ai essuyé sur les joues d’une jeune fille qui me dit qu’elle ne veut plus se réveiller. Cette personne âgée totalement démente qui ne comprend pas où elle est, mais qui avec moi écoute la musique pour respirer en rythme. Cet enfant qui doit laisser sa maman à l’entrée du bloc et qui va avec des inconnus à qui je parle de Disney. Ce vieil homme qui a peur mais qui me parle de ses poules. Cette femme qui me dit de ne pas lui lâcher la main. Cet homme de plus de 100kg qui attrape mes hanches lors d’une rachis anesthésie, et qui me dit les larmes aux yeux qu’il a mal. Cette femme qui doit accoucher par césarienne, qui ne comprend pas ce qu’il se passe autour d’elle qui ne me lâche pas du regard et qui me demande de rester avec elle jusqu’à ce que son compagnon entre dans la salle. Cette femme qui se demande comment elle va cuisiner pour un mariage de 300 personnes ce weekend et qui me demande de lui faire réciter le menu des futurs mariés pour penser à autre chose, ce monsieur qui a resauté en parachute, cette femme qui chantait avant de s’endormir, ou juste cette jeune fille qui m’a demandé de lui tenir la main.
Tous les voyages que j’ai fait en parlant avec les patients, les plats que j’ai cuisiné, les familles que j’ai découvert. Vous savez que la dame d’il y a quelques jours elle a 31 petits-enfants et le 32ème arrive ? Bon elle ne se souvient pas de tous les prénoms, mais elle a une photo de chacun d’eux dans son salon. Et le mildiou peut être traité avec du bicarbonate, mais c’est très long à faire. Je sais aussi que le papa de tel enfant, il n’aime pas le café, il boit du chocolat chaud tous les matins. Ah et que l’école primaire c’est trop bien parce qu’on a plein de copains. Je sais aussi qu’une patiente a fait le tour du monde et qu’elle a ramené un magnet de frigo de chaque endroit et que maintenant qu’elle ne voyage plus, c’est son fils qui lui en ramène. On m’a appris aussi que faire la vaisselle au fur et à mesure c’était mieux parce que sinon on ne voit pas le verre cassé au fond de l’évier. Et maintenant je sais aussi qu’on gagne rarement à taper dans un mur, et que ça fait mal.
J’ai appris que tenir une main vaut 1000 paroles, et qu’un regard en dit beaucoup plus que des mots.
Si j’avais le temps de raconter chaque histoire que j’entends au moment des anesthésies ou des rencontres avec chaque patient, j’écrirais un livre. Toutes les anecdotes sont belles. Au moment de l’anesthésie, je veux être au plus proche de la personne, stressée ou pas.
Et après certaines opérations, quand je recroise les patients qui m’offrent des sourires et des mercis, je me dis que je suis à la bonne place. Cette dame que je revois en salle de réveil et qui me parle de sa balade à cheval qu’elle a fait pendant son opération parce qu’on en a parlé avant. Cet homme qui me dit : au moment de m’endormir, j’ai vu votre regard bienveillant et je savais que tout allait bien se passer. Cette jeune femme qui demande à l’infirmier du réveil d’aller me chercher pour me remercier après l’opération. Et ce jeune homme qui m’a dit : « Merci Léa ».
Une collègue m’a dit « si un jour je me fais opérer, j’aimerai tomber sur une infirmière qui prend le temps de me parler, de me tenir la main, de me faire respirer. »
Bah si un jour vous tombez sur une personne qui vous marque, sachez que le plus beau cadeau que vous pouvez lui faire c’est lui dire merci. Parce que, personnellement, derrière la blouse, mon cœur fond à chaque fois que j’ai l’impression d’avoir un peu apaisé cette journée terrifiante. On m’a dit il n’y a pas longtemps « on est soignante, parce qu’on soigne les blessures des autres pour pas s’occuper de nos propres blessures. » Peut-être que nous, ce qui nous soigne, c’est la gratitude d’une personne inconnue.
Et tu sais pourquoi je te dis tout ça ? Parce que j’ai encore la voix de l’infirmière, lors de ma propre anesthésie qui me dit : « Je suis là. » qui résonne dans ma tête, je me souviens du prénom du brancardier qui vient me chercher dans ma chambre, avec un regard bienveillant et une voix calme. Et je ne leur ai jamais dit merci.
J’adore te lire ma puce, ta sincérité est comme une source tellement pure. Gratitude à toi ma Léa. Tu es effectivement à ta place
Bisous je t’aime
Nathalie